"Une cuillère tactique pour une soupe tactique" -- même le couteau le plus pacifique a tout de suite l'air plus méchant quand c'est noir (alerte racisme!).
Mon couteau préféré -- un Ahti puukko classique -- à force d'être traîné partout et n'importe comment, a commencé un peu à rouiller -- des petites tâches moches ont commencé d'apparaître. Rien de grave (et rien de plus normal sur de l'acier carbone traditionnel), il y a sûrement de ma négligence aussi -- un bête manque d'huile, mais j'aime pô quand c'est pô bô.
Un petit passage à 1000 grain pour virer la laideur, finissage au céramique, un petit coup de dioxyde de sélénium, un petit coup de Remoil -- et *paf* la beauté aiguë nous tape dans l’œil!


(Pour info, à l'origine la lame avait l'air de ça.)
Bon, ok, avec le
scandi grind la beauté ne va pas survivre à l'aiguisage suivant, mais l’affilage au céramique devrait suffir pour un bon moment (et si aiguisage il faut, rien n'empêche de renoircir derrière).
Un mois plus tard, avec une utilisation plutôt intensive, la couche protectrice tient assez bien le coup -- ça ne vaut peut-être pas le bleuissage à chaud, mais reste tout à fait comparable au Teflon de chez Fallkniven ou Spyderco, par exemple, et à merveille fait son boulot d'empêcher la rouille.
Pour les intéressés, c'est du "Ballistol Schnell-Brünierung" -- à recommander sans réserves (de la pub totalement désintéressée, je tiens à le préciser).
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Et, pour terminer, quelque mots sur le couteau en général. Ceux qui me connaissent savent que j'ai un faible pour les couteaux nordiques, les finlandais en particulier. Le puukko -- l'aboutissement de sept siècles de design utilitaire -- est à mes yeux le meilleur couteau universel "outdoor" qui existe, surtout pour la forêt.
Le profil -- le fameux "scandi grind" -- a ses avantage et ses inconvénients. En premier lieu, c'est fait pour l'entretien facile; rien de plus simple que de tenir le bon angle -- il suffit de mettre la lame "à plat" sur une pierre régulière. Le profil scandinave est donc très, très difficile à tuer par manque de bons outils (il n'y en a pas toujours dans la forêt) ou d'expérience.
La solidité de la lame est juste exceptionnelle -- rien que l'épaisseur de la pointe en dit déjà beaucoup; le traitement qu'il m'arrive à infliger au pointes scandi tuerait à coup sûr un drop-point en "V" complet de gabarits comparables.
Le scandi est sûrement le meilleur profil "universel" pour couper le bois -- à qualité d'acier et d'aiguisage égal, un scandi coupe le bois beaucoup plus facilement, et tient mieux le tranchant. La viande, le cuir, le fromage (ils font du fromage en Finlande?) -- juste parfait.
Pour les produits plus durs, par contre, ça devient un peu moins propre. Une pomme, par exemple, n'est pas coupée, mais cassée -- comme à la hache, crac! (Et si la lame est noire-tactique, la pomme, prise de peur panique, se casse toute seule.)
Par ailleurs, le profil, à mon avis, convient assez mal pour les aciers inox. Avec 23-25 degrés du puukko classique, les aciers style Sandvick 12C27 (à quelques exceptions près -- de la "pâte à modeler") ne tiennent pas du tout le tranchant -- les Mora, par exemple, réduisent la montée du profil scandi pour obtenir un angle de 35 degrés, voir plus, ce qui se reflète immédiatement sur la qualité du tranchant. Quand aux aciers inox haut de gamme (expl. S30V), l'aiguisage risque de devenir une torture, vu la quantité de matériel à enlever (un scandi en ZDP-189 ou S90V, quelqu'un? [rire diabolique]). Le bon vieux D2 en scandi est, par contre, vivement conseillé -- une excellente combinaison de facilité d'entretien, de résistance à la corrosion, et d'un tranchant juste terrible.
En revenant à l'Ahti, c'est de l'acier carbone honnête, classique et bien fait. La lame-même est une Lauri (fabriquée par Laurin Metalli) -- dans les 59 HRC (C-0,81 Mn-0,56 S-0,004 P-0,01 Si 0,35 V-0,161 Cr-0,54) une qualité (pour le prix) tout à fait impressionnante. Ça ne vaut peut-être pas la finition des lames custom de certains puukkos "oeuvre d'art", mais pour un utilitaire ça marche de tonnerre de Dieu.
Le couteau est fait par Reino Kamppila à Kauhava, et, à premier abord, pour les habitués de puukkos décorés (en .fi c'est tout un art) laisse l'impression d'une ébauche à usiner -- j'ai entendu des couteliers snober les apparences de la poignée, à coté des pièces polies miroir assemblées de cornes multi-couleur et ajustés au micron. Moi, je dis -- balivernes! -- si la poignée à une apparence brute, ce n'est pas par hasard -- il y a du travail derrière. La surface "sablée" du bois fait que la poignée ne glisse jamais dans la main, même mouillée ou pleine de graisse et de sang (oui, j'ai testé ça aussi). La forme de la poignée (je parle en particulier du modèle Vaara 95) est également super-bien étudiée -- une des meilleures prises de tous les couteaux qu'il m'est arrivé de toucher.
Bref -- ce n'est pas un couteau de luxe, ce n'est pas un couteau des navyseal-de-la-mort-qui-tue, mais... Telle la vodka dans le monde des boissons -- pas de goût, pas d'odeur, pas de couleur -- LA PURE EFFICACITÉ, le puukko est simple, increvable, facile à vivre avec, et terriblement efficace dans la tâche première d'un couteau -- couper!