C'est l'histoire d'un couteau relativement peu connu dans nos contrées, largement sous-estimé, et absolument, totalement formidable.
Toujours à la recherche de la
pure efficacité, je regardais, pour changer, du coté des pays du Nord pour un couteau pratique, utilitaire et universel, qui soit plus grand que les puukkos classiques (qui font généralement entre 7 et 10 cm de lame), mais moins encombrant en moins craignos qu'un Leuku (dont les lames commencent à partir de 20 cm, et vont jusqu'à 50 -- rien de tel pour semer la panique sur un sentier de montagne, et pas particulièrement pratique pour couper le saucisson).
J'ai trouvé mon bonheur dans le rayon inespéré de la marchandise tactique (encore!).
Conçu par Jukka Pekka Peltonen, un colonel (ret.) de l'armée finlandaise, et produit à Fiskars par la fameuse usine Fiskars.
A la suite de plusieurs années de service dans le contingent finlandais des "casques bleus" dans tous les coins du monde, Peltonen a décidé de créer un couteau universel militaire, en s'appuyant sur sa propre expérience et la tradition coutelière finlandaise (yes!).
A ce que je comprends, il n'existe pas de couteau "officiel" à l'armée finlandaise -- c'est l'unique élément de l'équipement qui n'est pas réglementé; traditionnellement chaque fantassin peut amener son propre couteau, généralement un puukko. Le puukko est une merveille de design utilitaire, mais ce n'est pas ce qu'il y a d'idéal pour les applications de combat -- l'absence de la garde limite les prises en mains, et nécessite de l'expérience (sinon, plutôt que de blesser l'ennemi, on risque fort de ramasser ses propres doigts par terre). Mais il y a, certes, du potentiel -- les soviets s'en sont vite rendus compte lors de la guerre d'hiver, et l'année suivante ont adopté pour le service un couteau de combat très influencé par le design nordique et finlandais en particulier.
En revenant à Peltonen, il était parti de la version commerciale de la baïonnette Valmet, fabriquée alors par Fiskars, et après quelques itérations plus ou moins convaincantes (voir, p.ex. ici pour quelques photos d'étapes intermédiaires), il s'en est beaucoup éloigné pour parvenir finalement à ce qu'on connaît maintenant sous l'appellaattion M-95 "Sissipuukko".
(Avec son jeune frère, le Sissipuukko M-07)
Le nom, je pense, a beaucoup contribué au manque de popularité du couteau dans le monde anglophone (et, par contagion, dans le reste du monde). Sissi (plus précisément "sissy") en anglais vaut dire "chochotte" ou "poule mouillée"; en finlandais ça vaut dire à peu près le contraire -- c'est la désignation de troupes d'élite, parmi les mieux entraînés et mieux équipés de toute l'Europe du Nord. Pour amortir l'appellation désobligeante, en anglais on parle généralement du "Ranger knife" ou "Ranger puukko"; ceci n'est pas tout à fait exact -- le but d'un "ranger" est de défendre une frontière, tandis que les "sissi" sont plutôt orientés vers les missions de type guérilla -- reconnaissance profonde derrière les lignes ennemies, diversions et sabotage, action autonome, etc. -- un peu l'équivalent nordique des "Selous Scouts" rhodésiens.
Cette mission plutôt spécifique explique peut-être les différences entre le Sissipuukko (qui est plutôt un "couteau de terrain", un "feldmesser") et les couteaux de combat "traditionnels" du style kabaroïde, qui ont plus ou moins les mêmes gabarits. Ce n'est pas non plus un "puukko" (qui vaut dire simplement "couteau" en finlandais), tel qu'on se l'imagine; ça y ressemble de loin (il y a une parenté certaine), mais l'appui prononcé pour la main et le profil totalement non-scandi en font une catégorie à part entière.
* La géométrie de la lame n'est ni spear-point/dague, ni tanto, ni clip-point, typiquement associés aux couteaux de combat, mais un drop-point assez peu prononcé, hérité des couteaux finlandais utilitaires. D'ailleurs, l'apparence est assez pacifique; un Sissipuukko passerait facilement inaperçu dans une cuisine.
* Le couteau n'a pas de garde en tant que telle, juste un appui pour la main en bas de la poignée. Le dos de la lame commence tout de suite derrière la poignée au même niveau, ce qui permet d'y mettre confortablement le pouce pour les travaux nécessitant de la force contrôlée.
* Le profil de la lame est simplement triangulaire -- "flat grind" -- typique, par exemple, sur les couteaux de cuisine, mais du jamais vu sur les couteaux de combat; la robustesse est faite uniquement par l'épaisseur du dos de la lame.
Tout ceci favorise d'autres utilisations du couteau que le combat, et en fait un outil très universel.
La lame153 mm de long, 24 mm de large, 5 mm d'épaisseur pour le M-95. Le M-07, relativement nouveau, est plus court (125 mm), 2 mm plus épais (7mm(!) au dos), et légèrement plus large (25mm, probablement pour compenser l'augmentation de l'angle du profil).
La couche Teflon, déclarée "pour éviter des reflets", sert plutôt à protéger contre la corrosion, mais comme n'importe quelle coating aurait tendance à se barrer. J'aurais préféré un bronzage, plus résistant, mais le prix du couteau n'aurait pas été le même (le Teflon, entre autre, cache les imperfections de la surface et permet d'économiser sur les procédures de finition, relativement coûteuses, t.q. le polissage, tout en créant le look "moderne").
Si vous n'avez pas réalisé, la lame est très, très épaisse. La trempe sélective est... très sélective; du 45-50 HRC au dos, du 58 HRC au tranchant. En combinaison avec l'épaisseur et la pleine soie, ça en fait un instrument totalement indestructible. Et, contrairement à d'autres instruments indestructibles (je pense notamment au Glock Feldmesser), ça coupe, ou plutôt -- ÇA COUPE. C'est vraiment une machine à couper ultra-méchante; j'ai fait quelques essais (très concluants) sur le bois et le plastique, et (comme avec tous mes couteaux) suis maintenant en train de tester le Sissipuukko dans le plus hostile des environnements urbains -- à la cuisine. Et bien, ça n'a rien à envier aux couteaux de cuisine d'excellente facture (et c'est vachement plus facile à aiguiser).
La poignéeLa poignée est faite en polymère très agréable au toucher -- comme un caoutchouc très dur. La prise en main est très ferme, facile à contrôler et à diriger (la section n'est pas ronde ni ovale, mais en forme de goutte). Aucune pièce métallique à la surface, ce qui est particulièrement important par les températures "peu clémentes" du Grand Nord; la taille de la poignée est très confortable même pour mes paluches -- il y a largement assez de place pour aisément tenir l'instrument avec des gants d'hiver.
L'appui derrière sur la poignée, typique des puukkos, facilite l'extraction de la lame du matériel coupé, et la coupe "tirée", plus naturelle dans beaucoup de situations pratiques.
L'étuiL'étui mérite une mention spéciale "génial" -- tout simplement le meilleur. La version cuir utilise un matériel bien épais, bien traité, bien cousu, renforcé par des fixations métalliques, l'intérieur est protégé du contact de la lame par une carcasse plastique. Un trou d'évacuation d'eau est, bien évidemment, présent. Jusque là -- c'est simplement un excellent étui; le génie se manifeste quand on regarde les systèmes de fixation -- celui du couteau dans l'étui, et celui de l'étui sur la ceinture ou sur autre équipement.
La fixation du couteau est assurée par un système simple et intelligent -- un roulement couvert d'une espèce de caoutchouc très résistant, qu'il faut "forcer" pour introduire le couteau dans l'étui. Une cale de poignée est prévue pour que le couteau ne s'enfonce pas trop. La petite "roulette" tourne, croche l'appui-main de la poignée, et tient le couteau ferme en place, rien ne bouge, rien ne branle.
Pour extraire, il faut exercer une certaine force, mais un appui spécial pour le pouce rends l'opération naturelle et facile -- l'ergonomie est juste impeccable. La tenue est largement assez ferme pour porter le couteau dans n'importe quelle position, y compris à l'envers.
Pour accrocher l'étui, le système est tout aussi simple et ingénieux: deux boucles -- une horizontale et une verticale -- et une bande en cuir (ou en nylon pour l'étui kydex) au velcro pour former l'attache -- assez pour accrocher l'étui où on veut et comme on veut.
L'étui kydex reprend tous les avantages du cuir (vraisemblablement le seul étui kydex où le couteau ne branle pas), en y rajoutant l'ambidexterité parfaite.
Et le combat?Pour le combat... franchement, je n'ai aucune idée; n'y étant pas particulièrement instruit, je ne connais pas les critères qui font un bon outil dans ce domaine. En comparaison avec l'excellent Street Bowie de taille de lame semblable, qui est, à ce que je comprends, "fait pour", le design de Maître Perrin est, certes, plus léger, plus compact et a plus d'appui pour la main.
Mais ça a un prix -- on voit tout de suite que le Street Bowie est tout de même un outil très spécialisé -- la coupe de bois, par exemple, serait fort pénible, les travaux longs demandant beaucoup d'appui contrôlé sur le tranchant sont difficiles, et il serait certainement une très mauvaise idée de forcer la pointe de la lame latéralement; comparez les pointes --
J'ai l'impression (spécialistes, corrigez moi si je me trompe) que dans le rôle d'un couteau de combat, le Sissipuukko est valable, mais pas exceptionnel.
ConclusionsLe Sissipuukko convient aussi bien pour les travaux relativement fins -- très surprenant pour un couteau de cette taille -- avec une prise en main très naturelle et confortable. La coupe -- la tâche principale d'un couteau -- est remplie à merveille. L'utilisation "machete" est moins aisée, dû à l'équilibre très en arrière, et carrément pénible sur le "petit" modèle M-07. Ceci dit, des deux j'ai une préférence pour ce dernier -- pour mon utilisation sa longueur me semble plus appropriée.
C'est un couple couteau+étui de conception absolument géniale -- parfaitement pensé pour une utilisation très universelle et très exigeante -- exactement ce que j'appellerais un *vrai* couteau de survie (contrairement à ce qui se vends sous cette appellation aujourd'hui). L'exécution est très "militaire", pour ne pas dire sommaire -- sans chichi, mais il y a zéro compromis quand à l'efficacité, la solidité, et l'ergonomie de l'outil. Un Glock 17 des lames -- voilà ce que c'est.
Indestructible (une barre d'acier hautement robuste de 7 mm d'épaisseur, ben tiens), facile à maintenir, de construction épurée -- rien d'inutile, tout efficacité, au tranchant exceptionnel et à l'étui génial -- que demander de plus?